A propos de la soirée présentation de "Carlos Fuentes entre hispanité et américanité" chez L'Harmattan

Publié le par MGI

Le 9 juin 2011, j'ai présenté mon livre Carlos Fuentes entre hispanité et américanité dans les locaux de L'Harmattan au 21 bis rue des Ecoles dans le 5ème à Paris. Je remercie tous mes amis qui ont pu se libérer pour l'occasion : François, Selbé, Ramiro, Alfredo, Maife, Richard et bien d'autres encore, les amis de mes amis, Silvia, Panayotis... ; mes collègues, Roxana, Didier, Yolla, Geneviève... Un grand merci à M. Pageaux qui s'était aussi libéré d'un emploi du temps prenant.

Une petite surprise m'attendait peu avant le début des "hostilités" devant la librairie : tout d'abord, Mme Carolina Becerril, la directrice de l'Institut Culturel du Mexique venu assister à l'événement et ensuite, venu faire une courte mais dense apparition, Carlos de Icaza, l'ambassadeur du Mexique en France : quel honneur de la part de ces deux éminents représentants du Mexique ici en France !

 

Enfin l'événement en lui-même, dans l'ordre anti-chronologique, deux belles photos de Panayotis prises pendant le pot, et le discours de présentation tel qu'il fut prononcé :

 

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Discours de présentation

 

Le 9 février 2011, j’ai terminé mon discours de soutenance de thèse en disant, plein d’espoir, que j’allais essayer de profiter du fait que 2011 était l’année du Mexique pour faire connaître mon travail sur Fuentes.

Hélas ! trois fois hélas ! C’était sans compter avec Florence Cassez et notre président…

Fort heureusement, il est des événements comme celui de ce soir qui, grâce à votre présence, adoucissent certaines humeurs colériques.

Pour en revenir à la thèse en elle-même, peut-être vous demandez-vous, du moins certains : mais comment diable peut-on se lancer pendant 6, 7 ans dans un doctorat ? et surtout sur un auteur, et cela peut paraître paradoxal, à la fois célèbre (des prix littéraires en quantité, nobélisable chaque année, invité à toutes les grandes manifestations culturelles autour de l’Amérique espagnole) et inconnu du grand public en France ?

Pour faire le DEA, il fallait un sujet. J’avais aimé Terra Nostra (mais pas forcément tout compris, loin s’en faut), roman auscultant les origines hispaniques de la culture mexicaine, et surtout une phrase de Fuentes, dans son essai Ce que je crois, sur la culture malgache, « l’héritage de l’ouïe et la mémoire des lèvres »[1]. Pour étudier un auteur étranger comme Fuentes, il fallait aller en Littérature Générale et Comparée, et le spécialiste des littératures hispaniques à la Sorbonne était M. Pageaux. Je viens donc le voir mais comme il s’agissait de littérature comparée, j’avais essayé de comparer et j’avais trouvé à comparer entre Carlos Fuentes et Jean Echenoz. C’est ce que j’ai présenté à M. Pageaux en 2003. Il m’a regardé de bas en haut (ou le contraire) puis m’a dit de sa voix tonnant de l’Olympe : « M. Gironde, Fuentes comme écrivain, c’est [accomplissant le geste de l’immensité]… Echenoz, le franzchute, c’est [affichant le geste de la petitesse]… Donc, vous avez le choix : ou bien c’est Fuentes tout seul, ou bien, ce n’est rien du tout ! » Il s’agit d’un de ces moments décisifs dans votre vie où un choix fait tout basculer. En moins de 5 secondes, j’ai donc répondu : « Mais, mais... bien sûr, M. Pageaux, ce sera Fuentes… tout seul. », et voilà comment vous engagez 7 années de votre vie.

Sur ces propos, je voudrais laisser la parole à M. Pageaux, professeur émérite de la Sorbonne, directeur de collections chez L’Harmattan, en particulier de Palinure, celle dans laquelle est publié Carlos Fuentes entre hispanité et américanité

[Ici juste une petite remarque sur l’humour de M. Pageaux qui est toujours aussi ravageur : à propos d’Echenoz, il dit : « Non seulement j’ai dit, mais je maintiens ce que j’ai dit et je persiste. Echenoz est connu en France, ou plutôt ici à Paris (geste éloquent) ; Fuentes a une envergure internationale. Que dire de plus ?... »]

 

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Fuentes, écrivain multi-facette

Carlos Fuentes est un géant des lettres hispano-américaines, consacré par les prix les plus prestigieux, aussi bien dans le domaine littéraire – entre autres, le prix Biblioteca Breve en 1967, le prix Rómulo Gallegos en 1977, le prix Cervantes en 1987, le prix Príncipe de Asturias en 1994 – que dans celui du journalisme culturel – le prix González-Ruano en 2009 – sans compter les multiples distinctions honorifiques accordées par les Etats et les institutions culturelles – doctorats Honoris Causa d’universités anglo-saxonnes, médaille du Club National des Arts de New York, médaille de la Légion d’Honneur… Son œuvre immense et protéiforme compte à ce jour 18 romans (Terra Nostra déjà cité, La Mort d’Artemio Cruz en 1962 [Interrogation de l’héritage de la révolution mexicaine], Les Années avec Laura Díaz en 1999 [roman sur la recréation de la mémoire familiale]), 8 recueils de nouvelles (L’Oranger en 1993 [recueil sur les flux et reflux culturels entre l’Espagne et le Mexique]), 3 pièces de théâtre, 13 essais (Le Miroir enterré en 1992 [histoire de la culture espagnole et hispano-américaine de la préhistoire aux années 1980]), des dizaines de préfaces et de conférences, et plus d’un millier d’articles de journaux. Il y exprime sa relation paradoxale au Mexique et au monde en tant qu’homme à la fois profondément, viscéralement mexicain, et distant du Mexique, plongé dans le monde ; en tant qu’homme vivant comme chez lui en Europe ou aux Etats-Unis et y défendant l’existence d’une communauté culturelle hispano-américaine. Le sujet de ses fictions est ainsi le Mexique en relation avec le monde et celui de son œuvre de pensée, l’Amérique espagnole elle aussi en relation avec le monde. Héritier d’une tradition hispano-américaine de l’écrivain engagé, Fuentes se voit en porte-parole des silencieux, mais contrairement à cette même tradition qui mêle les fonctions d’écrivain et de citoyen, il préfère fermement les séparer. Il croit, en revanche, à la politique de la littérature, c’est-à-dire à sa capacité à modifier, dans le temps, l’horizon social du lecteur. Intermédiaire culturel d’une envergure exceptionnelle, il est régulièrement invité dans les grandes manifestations culturelles mondiales à se prononcer sur la culture hispano-américaine et sur sa vision du monde selon la culture. Intellectuel concevant la politique selon cette dernière, il intervient régulièrement dans les journaux mexicains, européens et nord-américains, scrutateur attentif et passionné du monde, préoccupé par les crises récurrentes des sociétés hispano-américaines et suivant de très près l’évolution de son pays.

 

Dans ce livre, je me suis penché à la fois sur son travail d’intermédiaire culturel et d’intellectuel et sur celui de romancier : ce qui, a posteriori, me paraît un peu « fou ». Mais le fruit de cette « folie » est de m’être rendu compte qu’une même approche sous-tendait les différentes postures, les différents « métiers » de Fuentes.

 

La quête de la centralité

Contexte historique et culturel

Depuis les indépendances, un des problèmes culturels fondamentaux de l’Amérique espagnole est la question de la centralité, souvent posée en termes d’« excentricité », par rapport à la référence occidentale à laquelle, dans le temps, vient s’ajouter la référence nord-américaine. Les intellectuels hispano-américains du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle la traitent en tentant de montrer que l’histoire et la culture hispano-américaines appartiennent à l’histoire et à la culture universelles (occidentales). Après la fin de la seconde guerre mondiale, la fin de l’optimisme moderne et l’effondrement de l’ethnocentrisme européen leur font prendre conscience que leurs cultures sont spécifiques et originales, comme toutes les autres cultures du monde.

La centralité culturelle, axe directeur de l’œuvre de Fuentes

La particularité du travail de Fuentes est qu’il se focalise à la fois sur le Mexique – logiquement, car c’est son pays – et l’Amérique espagnole qu’il considère comme un ensemble culturel dont le Mexique fait partie. D’esprit fédérateur, il rêve d’une véritable communauté hispano-américaine qui se structurerait et se cimenterait autour de projets transversaux politiques, économiques et sociaux. Si dans la réalité, une telle fédération n’existe pas, Fuentes fédère l’Amérique espagnole dans son œuvre de pensée autour de son héritage culturel espagnol dont l’emblème est le Don Quichotte de Cervantes. Il se tourne vers cet héritage afin de l’utiliser comme « marqueur » d’universalité. C’est grâce à ce « marquage », consistant à identifier la transmission de caractéristiques esthétiques et de valeurs culturelles, qu’il confère à la culture hispano-américaine sa centralité. En revanche, s’il est possible d’adopter un point de vue culturel relativement générique sur l’Amérique espagnole par le biais d’un héritage espagnol commun, pour ce qui concerne le Mexique, il est nécessaire de procéder autrement car sa réalité et sa culture sont spécifiques, même si on peut supposer avec Fuentes qu’il possède une base culturelle commune avec l’Amérique espagnole. C’est ici qu’intervient la fiction. Pourquoi mettre en fiction le Mexique ? En premier lieu, pour rendre sa réalité intelligible : pour cela, Fuentes sollicite à nouveau la culture espagnole, mais en tant qu’outil universel de compréhension de la réalité, et un outil légitime car transmise à la culture mexicaine par l’histoire. En second lieu, pour construire sa centralité : ce rôle est dévolu à la mise en scène de l’interculturalité du Mexique et du monde qui, en « marquant » l’originalité de la culture et de la réalité mexicaines, trace également leur centralité.

 

Approche critique et théorique

Afin de montrer l’intention de centralité dans l’œuvre de Fuentes, nous avons adopté, dans le cadre d’une critique interprétative, une approche comparatiste qui analyse le dialogue des éléments culturels « étrangers » et hispano-américains, en faisant appel à l’historiographie, l’histoire des mentalités, l’anthropologie et la philosophie. Nous avons profité des apports de cette dernière discipline pour enrichir la méthodologie comparatiste de l’appareil théorique de Régis Debray sur la transmission culturelle pour une approche matérielle, temporelle et géopolitique de l’interculturalité.

Nous pouvons ainsi affirmer grâce à notre étude que Fuentes opère dans son œuvre au niveau culturel le passage pour l’Amérique espagnole et le Mexique de l’« excentricité » à la centralité. Grâce à ce passage, la réussite de Fuentes est de reconstituer une géographie culturelle mondiale ayant l’Amérique espagnole et le Mexique pour centre.

 

Difficile de ne pas être d'accord avec Daniel-Henri Pageaux dans sa préface à mon livre : l’Amérique pour Fuentes est une utopie, non pas El Dorado, mais le cadre d'une réflexion libératrice sur une alternative au monde global qui nous est proposé aujourd’hui.

 



[1] Ce que je crois, p. 292.

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