"Valse avec Bachir" ou la « beauté » d’un massacre

Publié le par MGI

En septembre 1982, pendant la première guerre du Liban se produit le massacre des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila par les phalangistes chrétiens qui voulaient ainsi venger la mort de Bachir Gemayel, leur leader récemment élu à la présidence du pays. Ari Folman, le héros et réalisateur du film d’animation, Valse avec Bachir (2006), à l’époque soldat israélien engagé sur le front de Beyrouth, tente, 20 ans après, de se souvenir de ce qui s’est passé.

 

Réflexion sur la mémoire et devoir de mémoire

Ari Folman se souvient de peu de choses de cette période traumatique : c’est la fonction d’oblitération de la mémoire qui protège le moi de la réapparition d’un passé intolérable. Pour le faire resurgir, il entreprend une anamnèse en interrogeant d’autres engagés comme lui de cette époque et des psychologues. Il comprend alors que la mémoire possède la faculté surprenante de fabriquer des souvenirs afin de brouiller, de masquer le passé. C’est ce qu’explique Salman Rushdie : « … même après m’être rendu compte que ma mémoire me jouait des tours, mon cerveau refusait simplement de se laisser mettre en ordre. Il s’accrochait aux faux souvenirs et les préférait aux événements réels » (cité dans Michel Gironde (dir.), Les Mémoires de la violence, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 10). Pour accéder au passé, il faut donc déconstruire et reconstituer. Pourquoi faire cela ? Parce que, même brouillé, même oblitéré, le passé hante et ronge, non seulement l’individu, mais aussi la nation, comme une maladie honteuse. Il s’agit ici d’identifier cette maladie, ici la culpabilité de la victime qui devient bourreau ou du moins, complice du bourreau. C’est un devoir de mémoire pour que la société israélienne voie ce qu’elle a pu être, ce qu’elle est : voir la vérité, en face, dans sa lumière éblouissante.

 

Esthétique cinématographique

Le choix du dessin animé « réaliste » s’avère particulièrement adapté pour traduire l’onirisme et l’irréalité dans lesquels baignent les souvenirs des soldats. Par contraste, les images finales extraites des reportages de l’époque, juste après le massacre, font ressurgir brutalement le passé tel qu’il se dévoile à Ari Folman, dans son horreur crue. L’animation contribue par ailleurs à une esthétisation de l’expérience de guerre, qui ne signifie pas que cette dernière peut engendrer de la beauté, mais que, pour échapper au terrifiant sentiment d’être pris au piège sous le feu ennemi, le soldat peut arriver à créer sa « bulle » de beauté, à partir de la situation de guerre. Cela me paraît être le sens de la scène dans laquelle un soldat paraît danser la valse en tirant des rafales au milieu de la rue dans Beyrouth sous les tirs des snipers. C’est pourquoi le film s’intitule Valse avec Bachir : il est nécessaire d’esthétiser le passé de la guerre parce que, ainsi, l’anamnèse peut être supportée jusqu’au bout, jusqu’au retour du passé de la violence.

 

Valse avec Bachir est une très grande œuvre, car il est la réponse à un insubmersible questionnement personnel profondément lié à un questionnement collectif sur la responsabilité du peuple juif face à l’Histoire, sans débordement idéologique, sans jugement ostracisant sur les partis en présence : dans Valse avec Bachir, l’ombre nazie plane sur Beyrouth.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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